Conclusions provisoires
des travaux de la Commission d'enquête citoyenne
sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994
1.
Au plan militaire, la Commission constate
:
- 1.1 les troupes spéciales françaises, ce qui
n'est pas contesté, ont formé de 1991 à 1993 dans plusieurs camps d'entraînement
des milliers d'hommes qui pour beaucoup allaient devenir les encadreurs
du génocide ; la France admet avoir formé les commandos de la Garde
présidentielle et les troupes d'élite de l'armée rwandaise, mais plusieurs
témoignages avancent que, dans le recrutement massif opéré à l'époque,
les hommes formés par les instructeurs français pouvaient aussi bien
être (ou devenir) des membres d'escadrons de la mort, des instructeurs
ou leaders des milices qui participeront au génocide ;
- 1.2 dès janvier 1993, il était difficile pour ces instructeurs
français (DAMI) de ne pas voir la volonté exterminatrice de certains
chefs et groupes militaires ou miliciens aux moyens ainsi renforcés,
puisqu'un important massacre avait eu lieu à proximité du camp de Bigogwe
où travaillaient une partie de ces DAMI ;
- 1.3 un témoin visuel entendu par la Commission assure que,
déjà en avril 1991, des militaires français arrêtaient les Tutsi à un
barrage routier près de Ruhengeri, sur la base de leur carte d'identité
ethnique, et les remettaient aux miliciens en bord de route qui les
assassinaient aussitôt ; il reste à rechercher si ces militaires auraient
agi seuls ou en obéissant à des ordres, et dans le second cas le niveau
hiérarchique de ces ordres ;
- 1.4 plusieurs témoignages recueillis au Rwanda, visionnés par
la Commission, allèguent d'une sorte de partage des tâches concerté
dans le Sud-Ouest du Rwanda, lors de l'opération Turquoise, entre certains
militaires français et des miliciens ; l'un de ces derniers et plusieurs
rescapés assurent que la découverte des survivants par les premiers
éléments de l'opération Turquoise sur les collines de Bisesero a coïncidé
avec une série d'attaques sans précédent des milices beaucoup mieux
armées, qui auraient massacré une partie des survivants, le reste n'étant
sorti de ce piège que 3 jours plus tard par les moyens de transport
français ; des témoins interrogés récemment sur place par la Commission,
parmi les rescapés et les miliciens, estiment que ce retard a été voulu
; il s'agit là encore d'accusations d'une extrême gravité, qui nécessitent
une enquête complémentaire ;
- 1.5 selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, le colonel
Rosier aurait fait faire demi-tour à un détachement français parti porter
secours à d'autres rescapés de Bisesero ; bien que ne relevant pas d'une
complicité active dans le génocide, cet ordre, qui contredit l'objectif
affiché de l'opération Turquoise, ne peut rester sans explication ;
- 1.6 il n'est pas contesté que l'opération Turquoise n'a rien
fait pour empêcher les militaires et miliciens du génocide de partir
s'installer avec armes et bagages à quelques kilomètres du Rwanda, au
Kivu (à l'est du Zaïre) ; un rapport de 1995 de Human Rights Watch (HRW)
assure que l'armée française aurait transporté l'organisateur présumé
du génocide, Théoneste Bagosora, le chef milicien Jean-Baptiste Gatete,
et plusieurs autres responsables de l'extermination des Tutsi;
- 1.7 le même rapport de HRW affirme, à partir de plusieurs témoignages,
que des militaires et miliciens du camp génocidaire en fuite ont été
amenés dans une base française en Centrafrique pour y être entraînés
de nouveau ; ce rapport a été rejeté en bloc par les autorités françaises,
mais l'affirmation de HRW s'inscrit dans une constellation de faits
montrant que les troupes spéciales françaises ont considéré dès la fin
du génocide que ceux qui l'avaient commis pouvaient rester leurs alliés
;
- 1.8 il n'est pas contesté que les forces militaires et miliciennes
du génocide ont entrepris dès l'été 1994 de se reconstituer au Kivu
(Zaïre) ; c'est le moment où la France, par l'entremise entre autres
de Jacques Foccart et du général Jeannou Lacaze, renoue officiellement
avec le dictateur zaïrois Mobutu et lui envoie des instructeurs militaires
; plusieurs témoignages, dont celui du général Roméo Dallaire, montrent
la proximité entretenue entre l'armée française et le général Augustin
Bizimungu, commandant les Forces armées rwandaises (FAR) qui encadraient
le génocide ; quatre ans plus tard, ce général et ses troupes seront
à nouveau les alliés de la France dans la guerre civile au Congo-Brazzaville
; la Commission s'est interrogée sur la coopération continuée avec des
forces impliquées dans le génocide pour une succession de guerres en
Afrique centrale ;
- 1.9 à l'aéroport de Goma au Nord-Kivu - contrôlé directement
par les Français durant l'opération Turquoise (de fin juin à début août
1994), ou par des forces zaïroises alliées de la France avant et après
cette opération -, les avions-cargos chargés d'armes n'ont cessé d'affluer
pendant et après le génocide, à destination des forces armées qui ont
encadré les massacres (les FAR) ; plusieurs rapports en attestent (HRW,
Amnesty International, NISAT
) ; un témoin a décrit à la Commission
comment, fin juin 1994, ces cargaisons d'armes étaient transférées aux
FAR ; il estime qu'à cette époque, le transit par Goma supposait l'accord
de l'armée française ;
- 1.10 deux de ces livraisons d'armes pour les FAR pendant le
génocide, les 25 et 27 mai (après l'embargo voté le 17 mai par l'ONU),
ont été l'objet d'une enquête de HRW ; le consul de France à Goma, Jean-Claude
Urbano, a indiqué à l'enquêtrice de HRW qu'il s'agissait d'honorer des
commandes à la France antérieures au 17 mai ; il a démenti par la suite,
mais a renoncé à sa plainte contre HRW ;
- 1.11 selon l'historien Gérard Prunier, Philippe Jehanne, conseiller
DGSE du ministre de la Coopération Michel Roussin, a admis que la France
livrait des armes au camp du génocide ; dans une entretien avec Médecins
sans Frontières, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a
déclaré avoir mis fin aux livraisons d'armes fin mai 1994 (alors que
le génocide est aux trois-quarts achevé), tout en suggérant que l'Élysée
pourrait continuer d'en livrer ;
-
1.12 selon un compte-rendu examiné par la Commission, recueilli
en 1994 à Kigali par la journaliste Colette Braeckman, le lieutenant-colonel
Ephrem Rwabalinda a rencontré à Paris le 9 mai (plus d'un mois après
le début dugénocide), le général Jean-Pierre Huchon, chef de la Mission
militaire de coopération (MMC) et pivot de l'alliance entre l'armée
française et les FAR ; le compte-rendu mentionne l'intention de la France
de porter secours à ses alliés et la mise en place d'une liaison cryptée
entre la MMC et les FAR ; il impute au général Huchon le souci de s'installer
dans une guerre longue et de renverser la mauvaise " image du pays
" ; la critique interne de ce document et les effets qu'il semble
avoir eu les jours suivants sur les messages émis par les radios rwandaises
penchent en faveur de son authenticité ; celle-ci pourrait être confirmée
ou infirmée à partir de vérifications factuelles (agenda du général,
paiement du matériel de communication, etc.) ; s'il était authentique,
ce document ferait paraître la profondeur de l'alliance entre une partie
de l'armée française et les FAR durant le génocide ; la Commission regrette
que ni le Parlement, ni des médias, n'aient cherché à enquêter à ce
sujet ;
- 1.13 selon l'historienne Alison Des Forges et le journaliste
Patrick de Saint-Exupéry (qui fait état d'un document), le lieutenant-colonel
Cyprien Kayumba, acheteur d'armes des FAR, attaché à l'ambassade du
Rwanda en France, aurait séjourné 27 jours à Paris au printemps et au
début de l'été 1994, et aurait été en contact fréquent avec le général
Huchon ;
- 1.14 mi-juin 1994 est organisée par le colonel Bagosora, orchestrateur
présumé du génocide, une double livraison d'armes depuis les Seychelles
jusqu'à Goma ; l'intermédiaire est un Sud-Africain, Willem Petrus Ehlers,
un ancien responsable du régime d'apartheid, qui a reçu une formation
militaire en France et serait proche d'un important agent français ;
l'argent de la vente a été tiré sur la BNP Paris ;
- 1.15 l'ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril apparaît au
cur du dispositif militaire franco-rwandais ; il ne cache pas
ses liens avec la mouvance porteuse du génocide, ni qu'il a été présent
au Rwanda pendant le génocide ; deux sources sérieuses, Alison Des Forges
et Patrick de Saint-Exupéry, indiquent qu'il a signé avec le gouvernement
du génocide un contrat "insecticide" (les Tutsi étaient appelés
"cafards") ; il est peu compréhensible que, sur ce point comme
sur d'autres, ce militaire semble bénéficier d'une totale immunité ;
la Commission ne comprend pas non plus qu'il n'ait pas été entendu par
la Mission d'information parlementaire ;
- 1.16 plusieurs témoignages, et les propos recueillis par divers
journalistes, montrent l'antitutsisme virulent voire prosélyte affiché
par des militaires français, depuis certains soldats intervenant durant
l'opération Turquoise jusqu'à de hauts gradés ;
- 1.17 plus généralement, la présence militaire française au
Rwanda de 1990 à 1994 paraît bien avoir été entièrement captée par les
forces spéciales imbriquées aux services secrets, avec l'appoint des
commandos de la gendarmerie (GIGN et EPIGN) ; avec Patrick de Saint-Exupéry,
la Commission constate qu'une guerre secrète a été menée au Rwanda par
une " légion présidentielle " hors hiérarchie, le commandement
des opérations spéciales (COS), affranchi de tout contrôle démocratique
hors la personne du Président ; cette situation est d'autant plus dangereuse
que, selon le chercheur Gabriel Périès, la doctrine militaire enseignée
et transmise parmi ces forces spéciales privilégie des formes de manipulation
de l'opinion et de contrôle des populations, ainsi que le renforcement
des réflexes identitaires ; on peut dès lors se demander si, à l'occasion
de la guerre menée par la France au Rwanda pour des objectifs obscurs,
des " apprentis sorciers " n'auraient pas franchi - comme
le soutient Patrick de Saint-Exupéry - un palier dans la guerre psychologique
et l'instrumentalisation de l'ethnicité jusqu'à amorcer, dans un contexte
" favorable ", la dynamique génocidaire ; cet amorçage pourrait
être un résultat non souhaité, mais pourquoi en ce cas les plus hautes
autorités politiques et militaires, rattachées à la Présidence de la
République, ont-elles mis si peu d'empressement à combattre dès avril
un génocide que certains officiers ou diplomates laissaient présager
depuis 1990 ou 1991 ?
2. Au plan financier, la Commission
constate :
- 2.1 La Banque nationale du Rwanda, trésor de guerre des organisateurs
du génocide, a pu tirer des sommes importantes sur la Banque de France
et la BNP Paris : 2 737 119,65 FF en six prélèvements du 30 juin au
1er août pour la Banque de France, 30 488 140,35 FF en sept prélèvements
du 14 au 23 juin 1994 pour la BNP ; la CEC se demande comment la Banque
de France a pu procurer des moyens financiers (dont 1 500 000 FF le
1er août, alors que le Gouvernement responsable du génocide et sa banque
ont quitté le Rwanda depuis un mois) aux auteurs d'un génocide commencé
le 7 avril ; comment l'autorité de tutelle de la place financière de
Paris a pu ne pas demander de couper les liens financiers avec les autorités
génocidaires ; comment la BNP a pu ignorer la portée de ces prélèvements
;
- 2.2 La Commission se demande pourquoi la France et la BNP n'ont
pas davantage coopéré avec la commission d'enquête des Nations unies
à propos de la double livraison d'armes aux FAR évoquée plus haut, en
provenance des Seychelles mi-juin 1994, impliquant l'intermédiaire Ehlers
et le colonel Bagosora, et dont le paiement est provenu de la BNP Paris.
3. Au plan diplomatique, la Commission
constate :
- 3.1
La journaliste Colette Braeckman a confirmé que, selon une source diplomatique,
le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) composé de représentants
des factions politiques extrémistes et qui va aussitôt superviser le
génocide, aurait été constitué au sein de l'ambassade de France à Kigali,
sous la houlette de l'ambassadeur Marlaud ;
- 3.2 La France va continuer à reconnaître le GIR, qui sera jugé
responsable du génocide par le Tribunal pénal international d'Arusha,
durant tout le génocide et même les premières semaines de juillet, après
avoir protégé sa fuite ; le 27 avril, 20 jours après le début du génocide,
elle a accueilli à l'Élysée, au Quai d'Orsay et, semble-t-il, à Matignon,
le ministre des Affaires étrangères du GIR Jérôme Bicamumpaka, accompagné
d'un leader réputé pour son fanatisme ; ce, malgré les avertissements
d'importantes organisations des droits de l'Homme, qui ont mis en garde
l'exécutif français contre la caution ainsi apportée aux autorités en
train d'administrer le génocide ; la Commission se demande par ailleurs
pourquoi les quelques voix discordantes au sein de la diplomatie française
n'ont pas été entendues ;
- 3.3 L'Élysée, qui disposait d'une grande influence sur le GIR,
ne s'en est guère servi pour l'inciter à cesser les massacres ; le Président
de la République, selon Patrick de Saint-Exupéry, et son Monsieur Afrique
Bruno Delaye, selon Alison Des Forges, auraient tenu des propos marquant
une indifférence quasi totale au fait qu'un génocide puisse être en
train de se commettre en Afrique, comme s'il s'agissait de quelque chose
de banal ;
- 3.4 Selon l'historien Gérard Prunier, l'Élysée aurait subordonné
la mobilisation diplomatique contre le génocide à la réalisation d'objectifs
géopolitiques comme la réhabilitation du maréchal Mobutu, allié de la
France ;
- 3.5 Selon Alison Des Forges, la représentation française à
l'ONU, en bons termes avec celle du GIR, aurait mobilisé son influence
et ses relations au siège des Nations unies pour infléchir l'information
du Conseil de sécurité, favorisant la perception d'un conflit armé plutôt
que celle d'un génocide en cours ; une telle présentation a été celle
proposée pendant plusieurs semaines par le Secrétariat général ; elle
a concouru à limiter et retarder les réactions internationales contre
le génocide.
4. S'agissant des médias et de l'idéologie,
la Commission constate :
- 4.1 L'Élysée et le gouvernement
ont diffusé aux médias des versions officielles qui ont évolué au fil
des événements, notamment lors de la préparation et de la mise en uvre
de l'opération Turquoise ; mais l'ampleur des massacres a tellement
frappé les esprits des journalistes présents sur le terrain qu'ils ont
dans l'ensemble, de l'avis de la Commission, tenu à informer librement
de ce qu'ils voyaient et entendaient ; quatre jours après le début des
tueries, des journalistes parlaient de génocide ; dans les trois premières
semaines, des chercheurs avertis de l'histoire sociale du Rwanda démasquaient
la caricature ethniste et offraient une explication cohérente des causes
profondes du génocide ; la plupart des envoyés spéciaux ont fait leur
travail et rapporté les faits observés, dans la mesure de leurs possibilités
d'accès à l'information et souvent en prenant des risques ; ils n'ont
pas déguisé la responsabilité de la France depuis 1990 ;
- 4.2 Cependant, certains de ces envoyés spéciaux, des éditorialistes
et des rédactions parisiennes ont eu tendance à répercuter le discours
de diabolisation du FPR, l'adversaire du camp génocidaire - à tomber
par exemple dans le piège des " éléments infiltrés " qui justifiaient
les " réactions spontanées " de la population ; cela empêchait
de percevoir la planification du meurtre et préparait le terrain à la
thèse du " double génocide " ; il n'est pas douteux que l'avance
de l'armée du FPR et la " libération " des territoires se
sont accompagnées de violences, mais celles-ci n'ont pas fait l'objet
de vraies enquêtes et la presse s'est trop souvent fait l'écho de bruits
non vérifiés ; on peut reprocher à la presse de n'avoir pas compris
que le déchaînement meurtrier imposait un choix, et non un balancement
entre " deux parties au conflit " ; concrètement, et quoi
que l'on pense de ce mouvement, c'était le FPR qui sauvait les survivants
;
- 4.3 Les principaux quotidiens ont continué, même pendant l'opération
Turquoise, à diffuser dans leurs colonnes le discours ethniste - souvent
dans sa version la plus absurde, nilotique et hamite -, alors que, dans
les mêmes colonnes, une explication scientifique de la fabrication de
l'ethnisme avait été donnée ;
- 4.4 À côté des journalistes lucides et courageux qui surent
ne pas céder aux pressions, d'autres ont trop souvent suivi le "
politiquement correct " véhiculé par le pouvoir, contribuant à
la mauvaise information de l'opinion publique française qui a elle-même
tardivement et insuffisamment réagi ;
- 4.5 Du côté des décideurs politiques et militaires français
engagés depuis trois ans et demi dans une alliance avec les forces rwandaises
qui allaient commettre le génocide, la propagande a continué : diabolisation
du FPR (les " Khmers noirs "), description raciste des Tutsi,
dépeints en envahisseurs avides, cruels et dominateurs, justification
de la "guerre" par la légitimité du " peuple majoritaire
" et le combat contre " l'expansionnisme anglo-saxon ",
etc. ; tous ces éléments de propagande se sont encore affichés complaisamment
lors de l'audition de ces responsables par la Mission d'information
parlementaire.
5. S'agissant de l'opération Turquoise,
la Commission constate :
- 5.1 Il apparaît qu'a existé parmi les décideurs tant politiques
que militaires ce que Patrick de Saint-Exupéry appelle la " ligne
Mitterrand ", visant au départ, sous un prétexte humanitaire, ce
qu'Édouard Balladur a qualifié d'" expédition coloniale "
: une partition du Rwanda au bénéfice du camp du génocide en déroute
; cette option s'est heurtée à une " ligne Balladur ", nettement
moins agressive;
- 5.2 Même si la " ligne Mitterrand " ne l'a pas emporté,
le format de l'opération était bien plus celui d'une expédition militaire
que celui d'une opération humanitaire ; sur le terrain, des militaires
tenants de la " ligne Mitterrand " ont pu tenter de faire
prévaloir leur optique va-t-en-guerre, mais la chute de Kigali a rapidement
changé le contexte;
- 5.3 La " Zone humanitaire sûre " (ZHS) est créée
le jour même de la prise de Kigali par le FPR; il n'est guère contesté
que cette zone n'était pas très sûre pour les survivants, dans la mesure
où aucun responsable, leader ou exécutant du génocide n'y a été arrêté
; de même, la Radio des Mille Collines qui encourageait les massacres
et assassinats n'a pas cessé d'émettre ; ceux-ci ont continué, tandis
que les FAR continuaient de recevoir des armes via l'aéroport de Goma
;
- 5.4 Il n'est pas contesté que la ZHS a servi de couloir de
passage pour des éléments du GIR et des FAR;
- 5.5 la Commission a recueilli une série de témoignages qui
portent des accusations très graves contre certains militaires français,
accusés non seulement d'avoir laissé en paix les génocidaires, mais
encore d'avoir coopéré avec eux, voire de les avoir incités à "
finir le travail ", en "purgeant" notamment la poche
de résistance de Bisesero, ou d'avoir aidé les miliciens à débusquer
les survivants, ou de leur avoir livré des rescapés ; bien que ces témoignages
évoquent un degré de complicité qu'elle ne pouvait imaginer, la Commission
estime qu'il n'est pas possible de ne pas chercher à les vérifier, dans
la mesure où des survivants et des miliciens repentis soutiennent des
récits concordants.
6. S'agissant de la hiérarchie des responsabilités,
la Commission constate :
- 6.1
En tout ce qui précède, que des enquêtes complémentaires doivent continuer
à vérifier, la responsabilité de l'ancien Président de la République
François Mitterrand, chef des Armées, apparaît la plus grande ;
- 6.2 Cette responsabilité constitutionnelle n'exclut pas celle
des autres membres de l'exécutif et celle du Parlement ;
- 6.3 Les chefs militaires, l'amiral Lanxade, les généraux Quesnot
et Huchon, ont eux aussi joué un rôle déterminant, d'autant plus qu'ils
géraient l'information du Président, " partageant et orientant
" sa réflexion, selon l'expression d'Alison Des Forges ;
- 6.4 Cependant, la doctrine même et la pratique des Forces spéciales
surreprésentées dans le haut commandement n'est pas incompatible avec
ce qu'elles appellent les " hiérarchies parallèles ". Il faudrait
s'interroger sur le rôle exact tenu par des officiers "charismatiques"
comme les généraux Lacaze et Heinrich ;
- 6.5 Plus généralement, la Commission constate un usage abusif
et hyperextensif du " Secret Défense ", qui représente en
soi un danger pour la démocratie et les institutions républicaines.
La Commission d'enquête
citoyenne demande d'ores et déjà :
-
que soient examinées avec sérieux la somme d'éléments pouvant laisser
présumer l'implication active de certains Français, responsables ou
subalternes, dans le génocide des Tutsi en 1994 ; l'impunité en ce domaine
n'est pas envisageable ; si ces éléments étaient confirmés, la saisine
des instances judiciaires serait nécessaire, qu'il s'agisse du Tribunal
pénal international d'Arusha ou de la justice française ;
- que des députés exercent aussi leur rôle constitutionnel de contrôle
de l'exécutif, sans se contenter des résultats d'une Mission d'information
parlementaire qui a esquivé les sujets les plus sensibles ; sur le thème
du rôle de la France dans le génocide de 1994, l'information du Parlement
ne peut être considérée comme close ;
- que les partis politiques et le mouvement citoyen considèrent la dangerosité
d'évolutions organisationnelles récentes, telle la constitution du Commandement
des opérations spéciales en une sorte de " légion présidentielle
" ;
- que la France, dans ses rapports avec le peuple rwandais, se dispose
à tirer les conséquences de ceux de ses actes qui seront avérés, parmi
ceux qu'a évoqués la Commission ou qui pourraient encore se révéler.
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