Idée reçue n° 17 : |
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Les éconoclastes: Petit bréviaire des idées reçues en économie:« Avec l'évolution démographique actuelle,
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Le privé lâche les retraites britanniques [8] « En 2001, les fonds de pension au Royaume-Uni ont enregistré en moyenne 10 % de pertes, selon le cabinet de consultants WM. Certains, comme Boots, la chaîne de pharmacies, ont sagement réinvesti leur tirelire en bons du Trésor. D'autres ont décidé de reporter le risque financier sur leurs employés. Des dizaines de grands groupes, tels que TSB, ICI, Lloyds, Whitbread, British Telecom ou Marks & Spencer, refusent dorénavant de s'engager sur le montant versé lors de la retraite et le font dépendre des performances financières du fonds. […] « De grandes compagnies d'assurances, comme Legal & General, Prudential, Standard Life et Equitable Life, ont envoyé des centaines de milliers de lettres pour encourager leur clientèle quinquagénaire à les quitter et à adhérer au régime complémentaire de la Caisse de sécurité nationale. Elles estiment que pour ce groupe d'âge la “seconde pension de l'État” est plus avantageuse que leurs contrats. “Nos calculs se basent sur l'évolution des taux d'intérêt et des marchés financiers”, explique-t-on à l'Association des assurances britanniques. » |
Un autre argument invoque l'idée selon laquelle le système par répartition ne serait plus tenable, en raison du choc démographique. Le plus souvent, il s'agit moins d'un argument que d'une assertion, où l'on explique ni en quoi la capitalisation résoudrait les problèmes, ni en quoi la répartition ne serait plus viable : on semble plus pressé de l'enterrer que d'expliquer.
Il ne s'agit pas de nier le problème démographique. La génération du baby-boom va progressivement partir en retraite tandis que ses enfants, moins nombreux, fourniront moins d'actifs pour financer les pensions. Dans le même temps, la progression de l'espérance de vie allonge la durée des versements. Le rapport inactifs sur actifs va donc se détériorer fortement à partir de 2015 et jusqu'en 2040. Pour faire face à cette évolution, dans un système par répartition, deux solutions sont envisageables : comme le total des cotisations dépend du nombre de cotisants, c'est-à-dire de gens qui travaillent, et du niveau moyen de cotisation, il faut soit plus de cotisants, soit des cotisations plus élevées.
Évidemment, plus il y a de chômage, moins il y a de cotisants, donc plus les actifs occupés doivent supporter une hausse de leur cotisation. Mais en la matière, les perspectives ne sont pas aussi dramatiques qu'annoncées : même dans l'hypothèse d'une croissance faible, le maintien du niveau des retraites par rapport aux salaires (maintien du taux de remplacement), couplé avec un recul de l'âge moyen de la retraite à 62,5 années (contre 57,5 actuellement) nécessiterait une hausse des taux de cotisation de l'ordre de 8 points d'ici 2040 [9] . Ce qui est loin d'être insupportable et laisse une marge de croissance de 1,3 % par an pour les salaires nets [10] . Et ceux qui expliquent qu'il serait impossible d'augmenter les cotisations n'apportent aucune réponse à la question suivante : s'il manquera 460 milliards d'euros en 2040 pour verser les retraites (des retraités de 2040), d'où les jeunes actifs (de 2040) sortiront-ils cette même somme pour racheter pour 460 milliards d'euros de titres à leurs aînés partant à la retraite ?
Il existe donc des voies pour sauver le système par répartition : augmenter le taux de cotisation, et, éventuellement, allonger l'âge de départ à la retraite [11] , selon des modalités diverses [12] . Si on juge l'effort demandé aux actifs insupportable, il l'est autant dans un système que dans l'autre : la situation des retraités se détériorera dans les deux cas. Mais le fait important est que le mécanisme opère de façon beaucoup plus insidieuse dans un régime de capitalisation.
Ce qui est généralement envisagé par les gouvernements est de mixer les deux systèmes, répartition et capitalisation (même aux États-Unis, où les deux régimes cohabitent). En France, il s'agirait de maintenir un régime de répartition avec des cotisations bloquées au niveau actuel, ce qui impliquerait, pour assurer l'équilibre des caisses, une baisse du taux de remplacement moyen (du salaire par la pension de retraite) de 71 % aujourd'hui à 43 % [13] . Cela signifie qu'un individu ayant terminé sa carrière avec un salaire mensuel de 1 500 euros (10 000 francs) percevra chaque mois 645 euros de retraite au lieu de 855 euros s'il prenait sa retraite aujourd'hui. Pour compenser cette diminution du niveau de vie, un système complémentaire par capitalisation serait développé.
Si la retraite complémentaire est facultative et repose sur la seule initiative des individus, seuls les actifs les plus aisés pourront dégager une épargne suffisante pour assurer leur retraite. Si elle est à l'initiative des entreprises, avec cotisation des salariés (et des employeurs) dans des fonds d'entreprise, de fortes inégalités apparaîtront entre les salariés des grandes entreprises qui pourront obtenir qu'une partie de leur hausse de salaire soit affectée au fonds, et les salariés des PME qui le pourront beaucoup moins. En fait, prôner la capitalisation comme supplétif au régime général (laissé en l'état) revient à se débarrasser du problème en acceptant implicitement un approfondissement des inégalités entre retraités.
Enfin, quelle que soit la forme du système par capitalisation, elle n'obère pas l'opacité fondamentale qui est au cœur de son fonctionnement : l'origine de son rendement. La répartition opère un prélèvement direct sur le travail. En capitalisation, l'objectif est d'obtenir les rendements les plus élevés, ce qui implique des modes de gestion (la fameuse corporate governance ) défavorables aux salariés [I, 3] * . Les intérêts des salariés (taux d'intérêt faible, sauvegarde des salaires et de l'emploi) et ceux des retraités (taux d'intérêt et profits élevés) deviennent alors opposés, créant une rupture implicite du pacte social. Mais qui fera le lien entre son licenciement et la retraite de ses parents ? Ainsi, la capitalisation rend le contrat entre les générations plus flou et par là constitue un obstacle à une solution politique du problème des retraites.
Jusque-là, nous avons vu que pour un niveau de retraite donné, la répartition et la capitalisation étaient équivalentes en termes de « contribution » (mais pas en termes de risques !), cotisation dans le premier cas, épargne dans l'autre. Mais c'était sans compter les coûts de gestion des deux systèmes.
Certes, un système par capitalisation peut être géré par un seul organisme, directement public, ou bien avec un monopole garanti par l'État. Mais dans la plupart des pays où la capitalisation a effectivement cours, elle repose sur un réseau d'organismes financiers privés en concurrence les uns avec les autres : banques, assurances, fonds de pension, etc., auprès desquels les individus déposent leur épargne, directement ou par le biais de leur entreprise. Et comme ailleurs dans l'économie, la concurrence a des coûts [I, 2]. Coûts liés aux dépenses publicitaires des organismes de placement, coûts liés aux redondances des infrastructures de gestion et autres coûts administratifs : aux États-Unis, le Comité consultatif pour la Sécurité sociale a estimé que les coûts de gestion d'un système de capitalisation décentralisé (dans lequel les épargnants diversifient leur épargne dans plusieurs fonds) atteignaient, sur quarante ans de cotisations, environ 20 % de l'épargne accumulée par un actif sur sa carrière. En comparaison, la même estimation pour un système de gestion centralisé (un seul organisme) donne un montant de 2 %, soit dix fois moins [14] . Dans le premier cas, sur un euro épargné, vingt centimes sont « perdus » en coûts de gestion, contre seulement deux centimes dans le second. De quoi grignoter largement les éventuels rendements mirifiques (à court terme [V, 22]) de la Bourse !
Le moins que l'on puisse dire est donc que la capitalisation, dans sa forme la plus courante, celle d'un système concurrentiel et privé, est coûteuse. Elle se révélerait même particulièrement inefficace par rapport à un régime par répartition, dont l'organisation est nécessairement centralisée et gérée par le public ou le parapublic [IV, 14].
En conclusion, on peut retenir que la capitalisation fait supporter aux retraités un risque plus important sur le niveau de leur retraite et s'avère plus inégalitaire qu'un système par répartition. Pourtant, différents responsables patronaux, politiques, et parfois même des intellectuels semblent faire fi de ces raisonnements.
[1] . Consulté le 10 mars 2002.
[2] . Olivier Davanne , Jean-Hervé Lorenzi , François Morin , Retraites et épargne , Rapport du CAE, n° 7, La Documentation française, Paris, 1998.
[3] . Jean-Michel Charpin , L'Avenir de nos retraites , Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, 1999.
[4] . Voir Banque mondiale , Policy Research Bulletin , 5 e volume, n° 4, 1994.
[5] . On voit tout l'intérêt des banques et des assurances au système de capitalisation, puisque dans ce système, elle sont au centre du jeu, prélevant une commission sur la vente et sur l'achat de titres.
[6] . Et si tel était le cas, cela résoudrait également le problème dans le cadre de la répartition.
[7] . Ce qui peut par ailleurs poser des problèmes redoutables en termes de déficits publics [IV, 15] et plus généralement de croissance [II, 6].
[8] . Libération , 19 mars 2002.
[9] . Voir Henri Sterdyniak , Gaël Dupont , Quel avenir pour nos retraites ? , La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2000.
[10] . Voir Henri Sterdyniak , « Retraites : le diable est dans les détails », Lettre de l'OFCE , n° 220, 11 avril 2002.
[11] . Ce qui implique pour les entreprises de revoir leurs pratiques massives de débauchage des plus de cinquante ans.
[12] . Voir pour approfondissement le premier rapport du Conseil d'orientation des retraites, remis le 6 décembre 2001.
[13] . Voir Henri Sterdyniak , Gaël Dupont , Quel avenir pour nos retraites ? , op. cit.
* Ceci signifie que le Chapitre 3 de la Ière partie développe ce point.
[14] . Joseph Stiglitz et Peter Orszag , Rethinking Pension Reform. Ten Myths about Social Security System, Banque mondiale, septembre 1999.
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