B.A.R.O.U.D
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Une histoire populaire des Etats-Unis:

Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis: de 1492 à nos jours, Agone, 2002
ISBN 2-910846-79-2

 

http://www.atheles.org/agone/unehistoirepopulairedesetatsunis

interview de Daniel Mermet 2 (La-bas si j'y suis) - janvier 2004
interview de Daniel Mermet 1 (La-bas si j'y suis) - décembre 2003
[fichier audio au format .ram (Real Player) avec en plus un superbe morceau de Nina Simone!!!!]

 

Cette histoire des États-Unis présente le point de vue de ceux dont les manuels d’histoire parlent habituellement peu. L’auteur confronte avec minutie la version officielle et héroïque (de Christophe Colomb à George Walker Bush) aux témoignages des acteurs les plus modestes.

Les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes des années 1980-1990, tous, jusqu’aux victimes contemporaines de la politique intérieure et étrangère américaine, viennent ainsi battre en brèche la conception unanimiste de l’histoire officielle.


Une histoire populaire des Etats-Unis

Le livre de Howard Zinn est évidemment d’une autre espèce et, s’il est inspiré par le même esprit contestataire que le précédent, l’auteur n’a pas la prétention de faire rire ses lecteurs mais de leur donner une version non-conforme de l’histoire des États-Unis, fort éloignée des fables colportées par l’histoire officielle. À Kissinger affirmant que “l’histoire est la mémoire des États”, H. Zinn répond ceci : “Le point de vue qui est le mien, en écrivant cette histoire des États-Unis, est bien différent : la mémoire des États n’est résolument pas la nôtre”, dans une formulation qu’Emma Goldman aurait à coup sûr signée des deux mains. Et, continue-t-il, “l’histoire de n’importe quel pays, présentée comme une histoire de famille, dissimule les plus âpres conflits d’intérêts […] entre les conquérants et les populations soumises, les maîtres et les esclaves, les capitalistes et les travailleurs, les dominants et les dominés, qu’ils le soient pour des raisons de race ou de sexe”. Dans ce monde qui met face à face les victimes et les bourreaux, on comprend aisément que, à l’instar de Camus ou d’Orwell – et à rebours du criminel de guerre (1) cité plus haut –, H. Zinn se range sans hésitation aucune du côté des premiers.

Il le fait en passant en revue tous ces mouvements populaires dont l’activité, bien que minimisée ou passée sous silence par les auteurs de manuels scolaires, témoigne de l’existence d’une autre Amérique, d’une Amérique qui fit entendre une voix dissidente dès la Déclaration d’indépendance et au lendemain de cette “étrange révolution” qui proclama le droit de tous à la “poursuite du bonheur”. Les pages que H. Zinn consacre au contenu de la Constitution font justice d’ailleurs des mérites que l’histoire officielle accorde aux pères Fondateurs, en particulier d’avoir élaboré des institutions qui devaient assurer “l’équilibre des forces concurrentes afin qu’aucune d’elles ne puisse dominer l’autre”. Aux yeux de notre auteur, c’est surtout d’équilibre entre les seules “forces dominantes de l’époque” dont les Fondateurs étaient véritablement soucieux : “ils ne souhaitaient certainement pas rééquilibrer les rapports entre maîtres et esclaves, entre possédants et démunis, entre Indiens et Blancs”. Quant aux femmes, il note qu’elles sont purement et simplement “oubliées” dans les documents fondateurs de la nouvelle République.

C’est à tous ces “oubliés” du rêve américain qu’est consacré l’essentiel de ce passionnant ouvrage. Aux femmes, qui forment le “groupe dominé le plus intime et le plus proche de la sphère domestique”, dont le chapitre “Les opprimées domestiques” retrace le long combat pour l’égalité, parallèle à la lutte anti-esclavagiste. Aux Indiens, qui, eux, composent le groupe le plus externe et étranger à la société américaine. Aux Noirs et à “l’émancipation sans liberté” qui suivit la victoire du Nord sur les États esclavagistes à l’issue de la guerre de Sécession (2). Enfin, aux classes dominées et à leurs interventions au cours du XIXe siècle : mouvement Anti-Loyers animé par les petits fermiers blancs de l’État de New York, révolte dite “de Dorr” contre l’accaparement, dans le Rhode Island, du droit de vote par les seuls propriétaires terriens, toutes choses ignorées par les manuels d’histoire destinés aux enfants des écoles. Dans le chapitre “L’autre guerre civile”, le lecteur trouvera le récit des luttes du mouvement ouvrier américain dès sa naissance dans les années 1830, que prolongent les chapitre XI (“Les barons voleurs. Les rebelles”) – qui relate en particulier l’épisode, fameux celui-là, du 4 mai 1886 au Haymarket Square de Chicago – et XIII (“Le défi socialiste”), où H. Zinn évoque, avec une sympathie non dissimulée, les principaux épisodes de l’histoire des IWW, le syndicat révolutionnaire américain, à partir de sa création en 1905.

Malgré toute la bonne volonté de son auteur, il n’est pas sûr que l’ouvrage reste fidèle jusqu’au bout au projet annoncé d’une histoire des mouvements populaires. Quand ceux-ci s’étiolent peu à peu après les grandes mobilisations des années 1960-70, H. Zinn penche plutôt pour une sorte d’histoire critique du pouvoir – c’est clairement le cas des derniers chapitres bien que H. Zinn relate dans l’un d’eux la naissance du mouvement dit d’anti-mondialisation à Seattle –, ce qui ne l’empêche pas de rapporter aussi “la résistance ignorée” qui va du début des années 1980, avec les manifestations pacifistes et anti-nucléaires, jusqu’aux premières années de la décennie suivante, au cours d’une époque qui voit cependant l’affaiblissement d’un syndicalisme déjà passablement désarmé.

On pourrait faire grief à l’auteur de l’optimisme affiché dans le chapitre “L’imminente révolte de la Garde” – H. Zinn se réfère en l’occurrence aux classes moyennes du pays – s’il n’avait pris garde de préciser qu’il s’agit bien moins de prophétisme que d’espoir, de l’espérance de voir enfin “la population unie dans sa volonté d’opérer de vrais changements”. Et c’est pourquoi l’historien résolument engagé qu’il est a tenu à conclure son livre par un plaidoyer pour ce qu’il appelle “un socialisme de voisinage échappant aux hiérarchies de classe et aux dictatures autoritaires qui ont usurpé le nom de “socialistes”.

Un belle conclusion, donc, pour un livre indispensable qui montre tout ce que cache l’unanimité de façade fabriquée par les puissants, en ôtant du coup toute pertinence à ces accusations d’anti-américanisme qu’on porte contre quiconque s’avise de critiquer la politique étrangère ou le régime social des États-Unis.

(1) On lira là-dessus Les Crimes de monsieur Kissinger de Christopher Hitchens (éditions Saint-Simon, 2001), dont nous avions rendu compte pour Le Combat syndicaliste.
(2) H. Zinn évoque (p. 273-274) les émeutes de juillet 1863 contre la conscription qui ont donné matière au film de Martin Scorsese, Gangs of New-York.

M. Chueca
Combat syndicaliste, 16 janvier 2003

 

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