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Une
histoire populaire des Etats-Unis: |
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Howard Zinn,
Une histoire populaire des Etats-Unis: de 1492 à
nos jours, Agone, 2002
http://www.atheles.org/agone/unehistoirepopulairedesetatsunis interview
de Daniel Mermet 2 (La-bas
si j'y suis) - janvier 2004
Cette histoire des États-Unis présente le point de vue de ceux dont les manuels dhistoire parlent habituellement peu. Lauteur confronte avec minutie la version officielle et héroïque (de Christophe Colomb à George Walker Bush) aux témoignages des acteurs les plus modestes. Les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes des années 1980-1990, tous, jusquaux victimes contemporaines de la politique intérieure et étrangère américaine, viennent ainsi battre en brèche la conception unanimiste de lhistoire officielle. Une histoire populaire des Etats-Unis Le livre de Howard Zinn est évidemment dune autre espèce et, sil est inspiré par le même esprit contestataire que le précédent, lauteur na pas la prétention de faire rire ses lecteurs mais de leur donner une version non-conforme de lhistoire des États-Unis, fort éloignée des fables colportées par lhistoire officielle. À Kissinger affirmant que lhistoire est la mémoire des États, H. Zinn répond ceci : Le point de vue qui est le mien, en écrivant cette histoire des États-Unis, est bien différent : la mémoire des États nest résolument pas la nôtre, dans une formulation quEmma Goldman aurait à coup sûr signée des deux mains. Et, continue-t-il, lhistoire de nimporte quel pays, présentée comme une histoire de famille, dissimule les plus âpres conflits dintérêts [ ] entre les conquérants et les populations soumises, les maîtres et les esclaves, les capitalistes et les travailleurs, les dominants et les dominés, quils le soient pour des raisons de race ou de sexe. Dans ce monde qui met face à face les victimes et les bourreaux, on comprend aisément que, à linstar de Camus ou dOrwell et à rebours du criminel de guerre (1) cité plus haut , H. Zinn se range sans hésitation aucune du côté des premiers. Il le fait en passant en revue tous ces mouvements populaires dont lactivité, bien que minimisée ou passée sous silence par les auteurs de manuels scolaires, témoigne de lexistence dune autre Amérique, dune Amérique qui fit entendre une voix dissidente dès la Déclaration dindépendance et au lendemain de cette étrange révolution qui proclama le droit de tous à la poursuite du bonheur. Les pages que H. Zinn consacre au contenu de la Constitution font justice dailleurs des mérites que lhistoire officielle accorde aux pères Fondateurs, en particulier davoir élaboré des institutions qui devaient assurer léquilibre des forces concurrentes afin quaucune delles ne puisse dominer lautre. Aux yeux de notre auteur, cest surtout déquilibre entre les seules forces dominantes de lépoque dont les Fondateurs étaient véritablement soucieux : ils ne souhaitaient certainement pas rééquilibrer les rapports entre maîtres et esclaves, entre possédants et démunis, entre Indiens et Blancs. Quant aux femmes, il note quelles sont purement et simplement oubliées dans les documents fondateurs de la nouvelle République. Cest à tous ces oubliés du rêve américain quest consacré lessentiel de ce passionnant ouvrage. Aux femmes, qui forment le groupe dominé le plus intime et le plus proche de la sphère domestique, dont le chapitre Les opprimées domestiques retrace le long combat pour légalité, parallèle à la lutte anti-esclavagiste. Aux Indiens, qui, eux, composent le groupe le plus externe et étranger à la société américaine. Aux Noirs et à lémancipation sans liberté qui suivit la victoire du Nord sur les États esclavagistes à lissue de la guerre de Sécession (2). Enfin, aux classes dominées et à leurs interventions au cours du XIXe siècle : mouvement Anti-Loyers animé par les petits fermiers blancs de lÉtat de New York, révolte dite de Dorr contre laccaparement, dans le Rhode Island, du droit de vote par les seuls propriétaires terriens, toutes choses ignorées par les manuels dhistoire destinés aux enfants des écoles. Dans le chapitre Lautre guerre civile, le lecteur trouvera le récit des luttes du mouvement ouvrier américain dès sa naissance dans les années 1830, que prolongent les chapitre XI (Les barons voleurs. Les rebelles) qui relate en particulier lépisode, fameux celui-là, du 4 mai 1886 au Haymarket Square de Chicago et XIII (Le défi socialiste), où H. Zinn évoque, avec une sympathie non dissimulée, les principaux épisodes de lhistoire des IWW, le syndicat révolutionnaire américain, à partir de sa création en 1905. Malgré toute la bonne volonté de son auteur, il nest pas sûr que louvrage reste fidèle jusquau bout au projet annoncé dune histoire des mouvements populaires. Quand ceux-ci sétiolent peu à peu après les grandes mobilisations des années 1960-70, H. Zinn penche plutôt pour une sorte dhistoire critique du pouvoir cest clairement le cas des derniers chapitres bien que H. Zinn relate dans lun deux la naissance du mouvement dit danti-mondialisation à Seattle , ce qui ne lempêche pas de rapporter aussi la résistance ignorée qui va du début des années 1980, avec les manifestations pacifistes et anti-nucléaires, jusquaux premières années de la décennie suivante, au cours dune époque qui voit cependant laffaiblissement dun syndicalisme déjà passablement désarmé. On pourrait faire grief à lauteur de loptimisme affiché dans le chapitre Limminente révolte de la Garde H. Zinn se réfère en loccurrence aux classes moyennes du pays sil navait pris garde de préciser quil sagit bien moins de prophétisme que despoir, de lespérance de voir enfin la population unie dans sa volonté dopérer de vrais changements. Et cest pourquoi lhistorien résolument engagé quil est a tenu à conclure son livre par un plaidoyer pour ce quil appelle un socialisme de voisinage échappant aux hiérarchies de classe et aux dictatures autoritaires qui ont usurpé le nom de socialistes. Un belle conclusion, donc, pour un livre indispensable qui montre tout ce que cache lunanimité de façade fabriquée par les puissants, en ôtant du coup toute pertinence à ces accusations danti-américanisme quon porte contre quiconque savise de critiquer la politique étrangère ou le régime social des États-Unis. (1) On lira là-dessus Les Crimes de monsieur Kissinger de Christopher
Hitchens (éditions Saint-Simon, 2001), dont nous avions rendu compte
pour Le Combat syndicaliste. M. Chueca
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